"Les voyages forment la jeunesse". J'aime à puiser de temps à autre dans la mare ténébreuse des sagesses littéraires du passé... J'ai pour les citations une fascination unique, elles sont comme des pépites de génie perdues au milieu du flot des paroles jamais pensées, écrites ou prononcées par nos semblables depuis la nuit des temps.
"Les voyages forment la jeunesse", aussi je dois être bien formée si l'on considère les heures que j'ai passées dans des TGV, seule quand je le pouvais, et parfois affublée de compagnons de voyages imposés lisant d'improbables quotidiens chrétiens (La Croix) ou d'impardonnables romans aux dents longues et aux idées courtes (Twilight). Si je voyage autant, ce n'est pas pour affaires (je conçois pourtant pour les voyages d'affaires une adoration inversement proportionnelle à l'expérience que j'en ai, autant dire que je trouve ce concept génialissime), mais comme dirait l'autre "pour mon propre plaisir".
Des trains pas toujours à l'heure m'amènent souvent à Paris (plus que mon budget l'estimerait raisonnable, en tous cas), mais aussi à Angers ou à Nancy, cela sans compter ceux que j'aurais aimé prendre, vers des destinations sinon plus exotiques, en tous cas plus lointaines. Tout ça pour quoi, pardi ? Pour voir des gens, en voilà un concept des plus étranges si on considère mon aversion générale pour le genre humain (de cette race-là, croyez-moi je n'attends plus rien de bon), et mon mépris particulier pour des concepts aussi pernicieux qu'éculés que sont ceux de l'amitié ou du partage (partage mes fesses). Il va de soi que je ne suis qu'une connasse. Mais tu le savais déjà.
Au fond, ce qui m'effraie le plus dans cette espèce de rencontre IRL permanente que j'ai l'impression de vivre depuis plus d'un mois, ce n'est ni le trou qu'elle fait dans mes caisses (trou pourtant plus que conséquent, même si je fais parfois genre que tout va bien), ni une espèce de frayeur que j'aurais de lasser les personnes qui me subissent (trop) régulièrement. Non, je n'ai pas peur pour vous, mon égoïsme n'a pas de limites, figurez-vous, aussi j'ai peu tendance à m'inquiéter pour mon prochain, même lorsqu'il m'est d'agréable compagnie. Véritablement, si tout ça m'effraie un peu, si je suis soulagée ne ne pas retourner à Paris avant trois semaines (d'aucun diront que c'est pas mal rapide quand même), c'est parce que j'ai peur pour moi.
Certes j'ai tout un stock de vannes éculées encore à écouler, un monceau de superficialités, des millions de banalités, pas mal de tours de passe-passe encore, mais trop de temps passé ensemble, c'est trop d'occasions de finir par être celle que je ne veux pas que vous voyiez, à aucun prix, moi-même.
Elle est de ces personnes que vous n'aimeriez pas beaucoup fréquenter, voyez-vous, elle a des choses à vous dire que vous ne sauriez pas porter, elle n'est pas particulièrement drôle ou enjouée, non, vraiment, ne comptez pas sur Emilie comme vous comptez sur Emma pour faire le spectacle. Emma, elle, sait occuper l'espace, parler plus fort, et lancer les mots comme d'autres prennent les armes, elle est mon armure, et comme toutes les armures, elle est parfois bien lourde à porter.
La distance est mon amie, pour toujours elle nous éloigne, à jamais elle nous sépare. Et pourtant parfois je sens que je suis trop proche, trop proche pour ma propre sécurité. Ne donnez pas aux gens les armes pour vous détruire, ou ils finiront par le faire. N'affichez pas en grand la carte de votre cœur, ses passages dérobés et ses tendresses cachées, ou vous verrez un jour que votre place forte n'a plus de secret pour l'ennemi. C'est un conseil que je vous donne là. Soyez autre, soyez ce qu'on attend de vous, et sachez pourtant surprendre, avouez de fausses faiblesses, feignez de croire, le front bombé, en des forces que vous n'avez jamais possédées, et surtout, comme si votre vie en dépendait, mentez, mentez sans vergogne, il n'est de pire monde que celui de la réalité.
J'aimerais, voyez-vous, un jour dire tout ce que je ne dis pas, j'aimerais avoir avec vous les conversations que j'ai déjà avec vous quand vous n'êtes pas là, dans le vide. J'aimerais vous dire qui je suis vraiment, mais je crois que vous prendriez peur. Alors je mens, et vous me mentez en retour. Je le sais parce que les menteurs, les vrais, savent reconnaitre ceux de leur espèce. Mais je feins de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne rien comprendre, et tout va pour le mieux. N'est-ce pas ?
Oui, je ne peux m'empêcher de remarquer comme vous aussi vous êtes loin, je vois votre maquillage, et votre costume de scène avec tellement de précision que ça m'effraie, comme une VF mal synchronisée. Et comme la version française d'un film mal doublé, si je suis capable de percevoir ce qui est faux, les dialogues originaux sont trop bien effacés pour que j'y ai accès. Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien.
Nous serons à jamais des étrangers. Et certains soirs, ça m'attriste.