Le corps humain se renouvèle totalement en sept ou huit années. Chaque atome, chaque particule, tout est remplacé pendant ce laps de temps, par la machinerie fumante de la vie en marche.
Il ne reste rien alors, "matériellement", de ce que l'on était avant. Mais que reste-t-il de nos chimères, de nos désirs, de nos frayeurs ?
Dans mon autre vie, j'étais la même, et pourtant si différente. Il y a sept ou huit ans, rien de ce qui existe en moi, rien de ce qui constitue mon être, n'était semblable à ce qui le constitue aujourd'hui. Et mon monde non plus n'était pas le même.
C'est incroyable de se dire que cette personne que des gens ont connu, cette personne qui était moi, a, physiquement, totalement disparu ; l'intégrité physique de ses atomes dispersée au vent, au vent salé du temps qui coule. Et ses croyances ont suivi le même chemin de purge, la même voie de poussière, il ne reste plus rien de cette fille là, pas même une tombe.
Sa naïveté n'a pas survécu à la vie, sa candeur n'a pas suffit à la préserver, elle l'a précipitée droit dans le néant. Ses faux-pas seront pour toujours les miens, le poids de ses choix accroché à mes bagages, mais ses joies ont disparu dans l'éther, la légèreté de ses rires envolée à jamais.
Nous ne serons jamais que la somme de nos erreurs, et mes bonheurs ne sont que mélancolie en devenir. Elle est partie à jamais. Et avec ce qui constituait son sang, a disparu son innocence, avec sa peau s'est dérobée sa force, les atomes de ses os ont emporté son optimisme, et quelque part, dans le processus de remplacement de tout ce qui a été moi, on a aussi dissolu ma confiance, mon émerveillement et ma passion.
Et je me contente des restes épars, j'ai beau les rassembler en vain, ils ne sont que le puzzle incomplet d'une personnalité morte.
Ce qui m'effraie et me rassure à la fois, quand je pense à cette jeune fille, cet alter-ego de 17 ans, c'est qu'elle appartient à une autre vie, comme à une autre réalité.
Rien ne va mal, aujourd'hui, non, rien. Tout va différemment, mais personne ne s'en rend compte.
Beaucoup de ceux qui connaissaient mon autre ne sont plus là pour comprendre l'étrangère que je leur suis devenue. Et ceux qui sont restés étaient trop près pour saisir le changement pernicieux qui s'est opéré, comme on est bien incapable de voir grandir ses enfants.
Et dans huit ans ?