Que l'on apporte encore les fruits de son indicible labeur, et ses colères si chères à nos cœurs. Que l'on décore sa vie des ors qui ont couté si cher à son front labouré de remords. Que l'on oublie ses cris et ses combats perdus d'avance, que l'on rappelle ses victoires, même celles qu'il a décrochées sans sortir les armes.
Que l'on sacrifie aux rites les miroirs et les sourires. Que l'on oublie bien vite la couleur et les rires. Que les inconséquents rentrent dans le rang, que les insouciants partagent le moment. Que les habitudes deviennent nos tuteurs, poussés par l'écume des siècles porteurs. Que rien ne manque à l'appel, que tout soit parfait, que les détails effacent nos idées.
Que l'on réanime sans raison nos erreurs pardonnées, que l'on enterre au fond les frayeurs insensées. Que l'on examine sans attendre toute une vie de faiblesses, que l'on pointe du doigt les ailleurs, les promesses... Que l'on décide ensemble d'une version à présenter, au tribunal commun des cortèges du passé.
Que l'on parle tout bas, sa présence nous dérange. Que l'on convoque la foi, ses blancs cortèges d'anges. Que l'on délie les langues, à demi-mots dévoilés, les secrets ignobles et les beautés cachées. Que l'on murmure l'anecdote comme une confiserie surannée, la délectation va aux moments qu'on a cédés. Que l'on chuchote en malheur, sans vraiment y penser, le temps a fait son temps, il est temps d'avancer.
Que l'on délivre à ses pieds sa famille éplorée, des larmes innocentes, des larmes feintes, des larmes fragiles et des larmes de regrets. Que l'on saupoudre partout le délicat parfum du temps passé, des souvenirs perdus et des rancœurs oubliées. Que l'on fasse une place pour les indésirables qui rentrent au bercail, pour les inexpugnables qui déposent les armes, pour les inconsolables qui partent avec lui.
Que l'on fasse silence enfin, le regard de Destin comme un poids sur nos épaules voûtées. Que l'on songe, en un soupir, à nos chemins brisés. Que l'on sache, à cet instant, que rien n'est donné.
Il est mort. Nous l'avions tant aimé.
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Personne n'est mort récemment dans ma famille ou proche de moi, je le précise. Parfois les mots toquent à votre porte sans que l'on sache pourquoi, avec un peu d'avance, ou beaucoup de retard. Il faut savoir les accueillir sans questions sous peine de les voir repartir comme ils ont vécu, en un éclair.
Et pis je dédie cette merde à Betty. <3 (Poufiasse toi-même)